Le président de l’Automobile Club de Monaco Me Michel Boeri goûte peu la F1 moderne et défend mordicus la tradition monégasque. Avec son franc-parler, il dépeint son envers du décor des négociations avec les propriétaires américains de la F1. Après d’âpres négociations, vous avez fini par signer en septembre dernier un nouveau contrat garantissant la participation de Monaco au championnat du monde jusqu’en 2025. À contrecœur?
À force de reculer vers le précipice, à moins d’être suicidaire on signe. Le problème, c’est ce qu’on signe. Et apparemment ceux qui doivent partager la responsabilité de cette signature n’ont pas dû bien lire le contrat. Mais on se fait à tout, on a résisté à deux guerres mondiales, on résistera bien à un contrat de plus rédigé ou inspiré par M. Domenicali. Vous avez signé un “contrat-cadre” jusqu’en 2025, mais des négociations restent à mener. C’est cela?
Je rejoins M. Domenicali sur le fait que nous sommes en période d’essai. Ou cela va marcher entre nous ou alors il ne va rien se passer. Si nous étions désireux de continuer et pas lui, c’est comme dans les couples, on ne pourra pas forcer les gens à rester ensemble. En ce qui nous concerne, on fera tout pour garder le Grand Prix parce que chez nous, c’est une tradition, une image importante et mondiale. Il serait idiot au prétexte de sympathie ou d’antipathie de sacrifier un monument pareil. Donc, en 2025, on fera tout pour que ce contrat soit renouvelé. Cela ne veut pas dire tout accepter mais retourner à la négociation, certainement. Certains considèrent que vous avez remis les clés du Grand Prix à Liberty Media…
Il y a un championnat du monde et un contrat-type. On le respecte ou pas, et l’art de chacun est de modeler et personnaliser le contrat en question. Il est évident que Miami avec 400 000 spectateurs, ce n’est pas Monaco avec 60 000 dans un week-end. Nous espérons que nos amis américains auront la capacité de comprendre que si le règlement doit être appliqué à tous, il y a toujours des exceptions nécessaires. Même dans les Évangiles, cela existe. Quelles prérogatives avez-vous conservées?
La capacité d’organiser notre circuit, c’est-à-dire de le construire, de le gérer, de permettre à certaines personnes d’y accéder. Nous sommes maîtres dans le périmètre qui nous est dévolu ; eux sont maîtres dans celui qu’ils se sont choisi. Qu’ont-ils choisi? L’image? La publicité?
Ils ont choisi l’image, la retransmission, les retombées économiques. On ne peut pas dire qu’ils aient été empruntés, loin de là. Ce sont des gens à la pointe du progrès. Et le progrès parfois c’est difficile à suivre, mais on essaye. Qui dit “période d’essai”, dit garde-fous?
On va s’essayer en union contractuelle relativement libre cette année, je suppose que cela va très bien se passer, parce qu’ils ont des dirigeants extrêmement compétents qui savent apprécier une situation au-delà des cabinets d’avocats, qui sont toujours au milieu de toutes ces affaires et qui, au lieu de favoriser l’entente, sont là pour soulever tous les points qu’ils imaginent négatifs. Je pense que M. Domenicali, qui est un latin, a une idée exacte des affaires. Il sait ce qui est possible et ne l’est pas, et je ne vois pas l’intérêt qu’il aurait à sacrifier Monaco sur l’autel de la patrie et d’avoir le titre de celui qui a étranglé le Grand Prix de Monaco. L’essentiel a été assuré avec la poursuite du Grand Prix mais on ne vous sent pas à l’aise…
Il est clair que la situation n’est pas agréable. Nous avions un objectif précis qui était la continuation du Grand Prix. Ce faisant, un cahier des charges a été établi, un contrat qui ne nous laisse pas la même latitude que nous avions par les années passées. C’est contraignant, c’est fatigant, ça ne nous plaît pas car nous avions l’habitude d’une certaine liberté que nous avons perdu. Mais nous n’avons pas perdu l’essentiel, qui est quand même la gestion, l’esprit, l’image du Grand Prix. Et dans cette petite Principauté un courant de bénévolat continue d’exprimer une certaine volonté de servir son pays. À partir de là, les péripéties d’un contrat sont importantes parce qu’elles ont une répercussion financière mais demeurent très loin de l’esprit d’un club et notre volonté de faire mieux. La volonté de ne pas perdre. Ce contrat vous apporte la certitude que l’image de la Principauté ne va pas être écornée et que le grand public va s’y retrouver?
Le grand public aura peut-être un Grand Prix encore plus intéressant que les années passées. Quatre écuries se suivent, bien sûr avec des différentiels importants mais Monaco est un circuit où tout peut se produire. Peut-être verrons-nous une vraie confrontation à Monaco. Si au niveau d’une société américaine, Monaco n’est qu’un circuit parmi d’autres, Monaco c’est quand même chaque tournant qui est associé à un nom de pilote. Un bilan sera donc fait après le Grand Prix pour affiner le prochain…
Oui, et pour moi je crois que ce sera le tournant. On va s’essayer pendant ce Grand Prix. D’avance, je sais ce que l’ACM peut faire, maintenant je ne suis pas dans la tête des dirigeants de la Formule 1 et je ne sais pas ce qu’ils en attendent. Même si c’était bien fait je, ne sais pas s’ils n’en voudront pas plus. Être raisonnable, c’est avoir la patience d’attendre un an de plus. Il faut avoir le calme des vieilles troupes et ne pas s’agiter pour rien. Les prochaines négociations se feront avec vous?
Avec moi si Dieu me prête vie, ou avec quelqu’un d’autre. J’ai une expérience de la Formule 1 mais elle a tellement changé. Honnêtement, je rame. Je sais ce que l’on veut, où on va et les moyens que nous possédons, je ne suis pas à la baille, mais quel est leur cap ? Je sais que le régiment peut repartir en opération à la seconde à Monaco, mais quel sera l’accueil en face ? Quelle analyse sera faite du bilan ? Vous pourriez donc vous mettre en retrait? Au profit du gouvernement?
Depuis le premier jour je suis prêt à me mettre en retrait, et je leur dis bon courage. Si ce n’est plus du sport mais une bataille juridique dix fois par jour, où est l’intérêt ? Le pauvre gouvernement, vous ne lui feriez pas un cadeau. D’autant plus avec toutes ses strates administratives et un certain mode d’emploi pour agir. Et le Prince? Qui est intervenu dans les dernières négociations…
Le Prince est à part, il a d’autres affaires qui sont celles de l’État. Qu’il jette un œil intéressé certes, mais il n’a pas le temps de gérer cette politique. Et puis il a tellement d’autres problèmes, je ne pense pas qu’on l’empêche de dormir. Vous voilà au départ de votre 52e Grand Prix sous les couleurs de l’Automobile Club de Monaco…
Oui, je fais partie des meubles. J’ai eu la chance d’arriver à une époque où le gouvernement avait pris bien plus conscience de la réalité du Grand Prix, de ce que ça représentait. Nous avions les moyens financiers nécessaires, que n’avaient pas eus nos prédécesseurs, pour rendre le circuit moderne en termes de sécurité, de matériels, de formation des commissaires. Avec tous les moyens nécessaires de l’État qui interviennent. Le Grand Prix, c’est une entreprise d’État. Quel est le secret de votre longévité? La proximité? On vous voit notamment serrer les mains des commissaires comme celles des membres de la FIA…
Moi je suis un bénévole, donc je suis plus de leur côté. Les commissaires sont des bénévoles et ils ont une vie bien moins agréable que celle que j’aie. Il ne m’est jamais arrivé de descendre sur le circuit à 4 heures du matin, l’heure à laquelle ils arrivent. Des bénévoles toujours aussi fidèles?
Trouver des employeurs qui vous laissent le temps d’être bénévole, avoir des familles suffisamment compréhensibles pour vous laisser aller, cela devient un vrai problème. À une époque les gens se fixaient. Aujourd’hui, on refuse du monde mais au bout de trois-quatre ans ils ont envie de changer. Je crois que c’est l’époque qui veut cela, on n’aura plus des commissaires qui auront vingt ans de service sauf quelques exceptions. Et il est impensable de prévoir des commissaires salariés puisqu’il y en a quand même 680. Vous ajoutez 900 placiers, guichetiers et membres de la sécurité, ainsi quelques bénévoles des différentes commissions et vous arrivez à 2000-2500 personnes gratuites. Parce que le corps de métier de l’ACM, ses permanents, c’est 85 personnes donc 45 dédiées au sport automobile. Bernie Ecclestone parle de Monaco comme un “joyau” à préserver…
Avec Bernie cela a été une histoire difficile au début, mais c’était un homme de parfait bon sens et il savait ne pas exiger de Monaco ce que nous ne pouvions pas donner. Il en avait compris les spécificités. Et puis avec Bernie on n’avait pas besoin de trois cabinets d’avocats, la discussion était dure mais quand c’était acté, on signait un contrat en trois pages et jamais il n’y dérogeait. Aujourd’hui le contrat fait 65 pages. Comme avec Jean-Marie Balestre, que vous avez aimé détester…
Avec Balestre c’était une histoire de couple orageuse. Quand je voulais il ne voulait pas, et inversement. cela a été très difficile et quand on s’est dit que l’abstinence ce n’était pas si mal, on s’est parfaitement entendu. Balestre, c’était spécial. C’était un type extrêmement brillant mais totalement incontrôlable, il avait des fulgurances ce gars. Il avait donné à la F1 un lustre que n’avait pas donné Bernie, qui était beaucoup plus près de ses sous. Je me souviens de réceptions données par Balestre, en particulier à Versailles, qui était exceptionnel. On a changé d’époque. Et les soirées aujourd’hui?
C’est un vaste problème parce qu’il faut que les gens fassent l’effort de se mettre au diapason de la soirée. Ce n’est pas la peine de dépenser des fortunes pour avoir des personnes qui débarquent en t-shirts malodorants, en shorts élimés et en chaussures qu’on n’oserait même pas enfiler. Ou on donne l’image qu’on concevait en Europe d’un certain luxe, d’une certaine tradition, ou on le fait à l’américaine. Plus de places VIP pour les propriétaires de la F1, c’est plus de stars sur la pitlane?
C’est l’éternel problème, déplacer des grandes vedettes est économiquement et financièrement impossible. C’est peut-être le rôle de Netflix et des Américains d’amener les gens nécessaires, parce que ce n’est pas tant pour la publicité de Monaco mais pour la publicité du championnat du monde. Je compte beaucoup sur cette approche de nos amis américains, de cette façon de concevoir le spectacle. C’est évident qu’une pitlane avec des vedettes, compte tenu des réseaux sociaux notamment, c’est un apport qui est loin d’être négligeable. “En accord avec le Comité de Commémoration du Prince Rainier III, nous avons une dérogation pour commencer l’hommage avant le 31 mai. Il y aura des clips sur les écrans entre les épreuves des couvertures de tribunes à l’effigie du Prince.” “Le prince Rainier a vécu l’époque du démarrage international du Grand Prix et du championnat du monde et il y était fortement intéressé puisque, ô miracle en Principauté, en moins d’une année a été construite la route de la Piscine. On n’imagine pas cela aujourd’hui sans que cela ne prenne 5 ou 6 ans au minimum.” “Prolonger le circuit avenue Princesse-Grace enquiquinerait la circulation, qui est plutôt fluide aujourd’hui pendant le Grand Prix, pour augmenter le circuit de 200 ou 300 m de long sur des portions où l’on ne double pas. Je ne vois pas l’intérêt sur le plan sportif. Mais si le gouvernement estimait qu’il est nécessaire d’agrandir le circuit, pourquoi pas.” “Nous sommes les seuls au monde à faire trois championnats du monde et le E-Prix n’est pas un produit négligeable dans notre offre. C’est le dernier arrivé, mais l’enfant grandit vite. Il est aujourd’hui sur le même circuit que les Formule 1 et, en l’espace de deux ans, la capacité électrique des batteries de voitures ainsi que leur performance se sont largement améliorées, donc le spectacle est au rendez-vous et on a pu constater que les tribunes étaient largement remplies. Ce qui prouve que la greffe par rapport à la F1 est en train de prendre et c’est l’essentiel, parce que c’est peut-être l’avenir d’avoir des voitures moins polluantes (…) Maintenant, en tant qu’organisateur on peut s’adapter à tout mais on ne serait pas plus malheureux si les choses se stabilisaient au niveau des règlements.” “Si j’ai bien compris, M. Domenicali attend l’appel du président Macron. Je me réjouirais que le Castellet soit au calendrier par sympathie régionale, de même qu’il y a Isola ou Monza, mais je crois qu’ils auront du mal parce que l’on parle beaucoup trop de problèmes financiers. Je ne sais pas s’ils ont trouvé un mécène mais il est certain qu’avec nos interlocuteurs money is money.” “Je n’imagine pas que Monaco soit un objectif pour ces messieurs. Ils sont bien trop sérieux pour aller troubler une manifestation, le geste politique serait nul.” “Canal+ fait partie du paysage. Nous sommes tout à fait heureux de les avoir et nous n’avons plus peur qu’ils partent. Nous sommes des gens sérieux et, eux, ce sont des gens constants dans leurs engagements. Ils font partie de la famille.”
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